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Sahel : Goïta se tait, Macron fléchit

Le rendez-vous c’est dans quatre jours : Emmanuel Macron et le colonel Assimi Goïta se rencontreront le lundi prochain à Bamako. La pression est forte sur les deux hommes. Trop forte même, selon la posture politique de l’un et de l’autre.

  Sur le président français elle pèse lourdement. Il joue sa réélection dans moins de 18 semaines, et les questions liées à la présence militaire française au Mali et au Sahel comptent dans sa stratégie pour obtenir un second mandat consécutif. Sauf qu’il n’est pas en bonne position sur ce champ d’opération. Pour améliore sa situation, des concessions, comportementales et politiques, commencent à se dessiner dans sa démarche. Elles passent par adopter une attitude qui n’est pas dans ses habitudes : faire preuve d’humilité, notamment à l’égard des leaders africains.

Quand un chef putchiste gagne en légitimité grâce à Macron…

La première concession politique de Macron est d’ordre symbolique et loin d’être négligeable. Elle réside dans le fait que c’est lui-même qui se déplacera vers le colonel malien et non l’inverse. Ses pas le conduiront dans le bureau d’un putschiste à la tête d’un régime militaire que le Président français qualifiait il y a quelques semaines « d’illégitimité », de « non travail » et, même, de «honte » quand il répondait au Premier ministre désigné par la junte militaire malienne.

Avec ce voyage « à contre à cœur » devait-il se dire, l’arrogant et volubile Emmanuel Macron lâchera du lest vis à vis du taiseux et discret chef de la Transition malienne. Et à défaut de pouvoir maquiller ce fléchissement, l’Elysée cherche à en atténuer la portée en attirant le regard vers un autre objectif du déplacement qu’effectuera son patron : le Président de la République se rend au Mali « pour partager le repas de Noël avec les soldats français et européens, de Barkhane et de Takuba », affirme-t-on à Paris. Quitte à faire la fête une bonne demi-semaine avant le jour de Noël, le repas devant avoir lieu dans la nuit du 20 au 21 du mois courant à Gao !

De leur côté, les autorités maliennes, elles, parlent de « visite officielle » effectuée par le président français de leur pays. Ce qui fait passer le « partage de repas avec les militaires français et européens » à un second plan ; et confère de facto une dose non négligeable de légitimité au régime militaire malien. La « fréquentabilité » de la junte et de son chef est désormais affirmée par la France.

Non à Vagner, et mollesse ou silence sur le reste.  

Un autre sujet hautement politique, et cher au président français, passe à un second plan lui aussi. Le retour à un ordre constitutionnel ne sera pas prioritaire lors de la rencontre des deux chefs d’Etats. Les liens opérationnels, effectifs ou probables, entre le Mali et la société militaire russe Vagner lui ravivent la place. Mais là aussi, bien que fortement opposée à la présence en Afrique de cette entreprise controversée aux « liens suspects avec le Kremlin » selon la presse occidentale, la France devient plus discrète quant à la coopération militaire que commence à tisser le régime malien avec l’Etat russe. Une coopération qui se traduit déjà par la réception le 1er octobre dernier par les FAMA (forces armées maliennes) de quatre hélicoptères de combat russes, types Mi-171.

Sur ce plan, Macron fait preuve de mollesse, comme s’il reconnaisait implicitement et acceptait son incapacité à empêcher les pays africains de varier et diversifier les sources, voies et moyens de leur approvisinnement et coopération militaires.  

Un troisième sujet de discorde sera manifestement encore absent de l’ordre du jour de la rencontre Goïta / Macron. Ce dernier n’exigerait plus le refus de tout dialogue avec les « djihadistes ». Il en faisait une condition pour maintenir la présence militaire française au Mali. Il n’en parle plus alors que des tractations dans ce sens sont, parait-il, en cours entre les autorités maliennes et certains groupes « islamistes » armés dirigés par des Maliens, comme, JNIM d’Iyad Ag Ghali et la Katiba Macina d’Amadou Koufa.

Et si le soutien populaire s’essoufflait !

Le mutisme français sur cette question constitue une autre concession de taille en faveur de la junte malienne qui s’en accommode assez bien. Le colonel Goïta, homme fort du pays, et son équipe restent silencieux sur le sujet. Pour autant ils ne croisent pas les bras. Tout porte à croire qu’ils tirent habilement profit de la grogne et sentiments antifrançais qui se développent au sein des populations locales. Il en résulte pour eux des courants de sympathie qui constituent de bons remparts politiques face à l’intransigeance de la CDEAO et la France. Seulement trop compter sur cela comporte des risques.

En effet, dans le contexte politique malien, et géopolitique sahélien, les mouvements ou alliances de soutien aux régimes en place ont souvent le souffle court. Puis, les Français ont certes perdu beaucoup de leur force d’influence géopolitique sur la scène africaine et mondiale. Mais comme ancienne puissance coloniale, il leur reste une capacité de nuisance que l’on ne doit pas négliger. Ils tâtonnent certes quant à sa mise en œuvre. Mais leur rôle déterminant dans la chute du régime de Kadhafi et leur implication actuelle dans la crise libyenne nous montrent que les anciennes puissances en déclin aujourd’hui rivalisent activement avec les puissances émergentes. Toutes sont capables du pire, quand il s’agit de préserver leur intérêt. Il faudra s’en méfier tout en essayant de tirer profit de leur rivalité et des changements géopolitiques que cela engendre.

Ce qui requiert une stabilité politique interne et un bon niveau de sécurité dans le pays. Les deux plus grands gages de la crédibilité d’un Etat. Malheureusement le Mali en est loin pour le moment. Pour le remettre sur la bonne voie, les autorités de Transition doivent, sans attendre, mettre les bouchées doubles. Les pays de la région sont appelés à leur faciliter la tâche et à éviter de leur imposer des agendas irréalistes et/ou contreproductifs.

  El Boukhary Mohamed Mouemel

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